Biocer boucle la chaîne du grain

Avec son unité de triage et son nouveau moulin mis en service en 2021, la coopérative Biocer est actrice de la valeur ajoutée du grain, au service des agriculteurs, des clients artisans et des magasins bio spécialisés. Cette maîtrise de la valeur est un atout alors que la filière biologique traverse une crise côté consommateurs. Visite guidée de l’installation.

Tirer parti de la valeur ajoutée des récoltes de grains des agriculteurs bio pour sécuriser la production et se prémunir des crises du marché. Telle est l’orientation de la coopérative Biocer, qui fédère aujourd’hui 280 agriculteurs, pour une collecte de 25 000 tonnes (t) avec un rayon d’action correspondant au quart nord-ouest de la France. Une orientation ancrée fortement dans l’histoire même de la structure depuis ses premiers investissements dans la meunerie dans les années 1990, quelques années à peine après la constitution de la coopérative, en 1988.

À cette date, l’entreprise n’est constituée « que » d’une simple ligne téléphonique pour assurer le courtage en commun des grains, sans silo dédié. Puis les agriculteurs investissent dans un premier équipement de stockage et de triage des grains, en 1994, au Plessis-Grohan (dans l’Eure, à proximité de Rouen) avec la mise en place d’une production de farine en sous-traitance pour la valoriser, qui suscite encore peu d’intérêt chez les meuniers de l’époque. « Cette volonté meunière était née, à l’époque, de la nécessité de consolider le revenu des agriculteurs en système biologique, dans un contexte de manque de valorisation de ces productions », retrace Guillaume Martin, responsable des filières de Biocer.

Prise d’autonomie

( © Alexis Dufumier)

En 2003, la capacité de la coopérative s’agrandit avec le rachat d’un second silo céréalier, à Beaumont-le-Roger (Eure), puis d’un troisième en 2010, à Fouilloy, dans l’Oise. Entre-temps, l’activité de production de farine monte en puissance, ce qui rend nécessaire une plus grande autonomie et un meilleur contrôle de la qualité. C’est ainsi que les agriculteurs décident d’investir dans un moulin sur leur site du Plessis-Grohan en 2006, équipé de quatre ensembles de meules de pierre de type Astrié.

La technique de mouture Astrié repose sur la mise en œuvre d’une meule mobile flottante, dont la pression est assurée par des ressorts. Ce système effectue la mouture du grain en un passage unique qui évite les problématiques d’échauffement des parties du grain.

Un deuxième grand coup d’accélérateur dans ce projet de maîtrise de la valeur ajoutée par les agriculteurs est donné en 2016. Décision est alors prise d’investir pour répondre à leurs besoins de stockage, de triage et d’ensachage, avec l’objectif d’assurer l’essor de la meunerie. Ce projet se concrétise à travers l’inauguration de la station de triage en 2019. Celle-ci est capable de stocker 4 320 t de grains, répartis en de multiples cellules de 25 t à 200 t de capacité en équivalent blé. La station est conçue pour un rythme de deux rotations par an, soit environ 8 000 t de grains réceptionnées.

Un nouveau moulin en 2022

( © Alexis Dufumier)

Un groupe froid complète le dispositif pour une conservation optimale des céréales, ainsi protégées des insectes. Puis viendra l’installation du moulin, en 2021, dont la production sera lancée avec la récolte de 2022. « Du fait de la restructuration du secteur, il y a beaucoup d’anciens moulins désaffectés à vendre, constate Guillaume Martin. Ainsi, la question s’est d’abord posée pour nous de savoir si nous devions investir dans un ancien moulin pour le réaménager. Cependant, cette solution s’est révélée trop coûteuse. Nous avons donc décidé de construire le moulin sur le site de Marcilly [Seine-et-Marne], collé à la station de triage. C’est, en plus, beaucoup plus confortable du point de vue de la gestion des flux. »

Aujourd’hui, le moulin reçoit l’ancien équipement Astrié ainsi que des nouvelles meules sur granit. Le moulin a une capacité d’écrasement d’environ 2500 t de grains par an, avec la possibilité de multiplier le nombre de meules pour accroître les capacités si le besoin s’en fait sentir.

Réception des grains

( © Alexis Dufumier)

Comme c’est devenu aujourd’hui la norme sur les sites de collecte de céréales, chaque benne de grains est prélevée à l’aide d’une sonde d’échantillonnage lorsque la benne arrive sur le pont-bascule à l’entrée de la station de Marcilly. Les grains prélevés arrivent sous pression pneumatique directement au laboratoire pour les analyses.

Les mesures concernent les éléments de qualité, qui serviront de base à la rémunération des agriculteurs mais aussi à la constitution des lots de blé, en vue d’atteindre une qualité meunière. Les temps de chute sont ainsi contrôlés, de même que les taux d’impuretés, les poids spécifiques, les taux de protéines, l’humidité, etc. Une fois que ces analyses sont effectuées – ce qui prend environ 15 minutes –, le camion est autorisé ou non à décharger.

Pour éviter la contamination des grains dans la fosse, le déchargement des camions se fait en marche arrière, contrairement aux silos conventionnels où la marche en avant est retenue pour des raisons de simplicité de circulation. Une analyse de résidus de produits phytosanitaire est systématiquement réalisée par des laboratoires de qualité indépendants, de même que des analyses pour détecter la présence de métaux lourds ou de mycotoxines.

Aucun additif

( © Alexis Dufumier)

L’assemblage des blés meuniers se fait en synergie avec l’autre site eurois de la coopérative, qui dispose de vastes cellules de 1 500 t. « La principale valeur ajoutée du meunier est d’être capable de réaliser les assemblages entre les différents lots de variétés de blés et de qualités pour constituer des mélanges meuniers, met en avant Guillaume Martin. C’est encore plus vrai en bio, avec des taux de protéines souvent plus faibles qu’en conventionnel. Sachant qu’au sein de Biocer nous nous interdisons, par philosophie, de corriger les farines. Pour travailler efficacement l’assemblage de nos blés meuniers, nous disposons d’un laboratoire spécifique, qui nous permet de faire des tests de panification. En outre, nous accompagnons techniquement nos farines auprès des boulangers, en faisant des transitions d’une année à l’autre. En parallèle, nous réalisons tout un travail de long terme avec les agriculteurs pour mettre en culture les variétés attendues par le moulin. »

Une date limite d’utilisation optimale de 12 mois

( © Alexis Dufumier)

L’outil de Biocer est dédié à la vente de farine dans le quart nord-ouest de la France, pour des boulangers qui travaillent souvent en systèmes non conventionnels (levains, pétrissage manuel, etc.). L’autre partie des farines est vendue en Biocoop via la marque Biocoop. Certains lots sont vendus sous les marques Paysans d’ici ou Ethiquable.

Le moulin est adossé à deux lignes de conditionnement, adaptées à des unités de vente de 250 g jusqu’à 25 kg. Chaque ligne est munie de deux doseurs. L’un pour la farine et l’autre pour les grain(e) s. « Encore une fois, nous travaillons la diversité des produits, ce qui nécessite beaucoup de réglages et des équipements spécifiques, indique Guillaume Martin. Les farines ont une DLUO [date limite d’utilisation optimale, NDLR] de douze mois grâce à un système poussé de désinsectisation, qui assure une longévité plus forte qu’une farine de meule classique. Cependant, après mouture, les farines font deux semaines de « plancher », c’est-à-dire qu’elles restent au stockage pendant deux semaines, le temps qu’elles se stabilisent d’un point de vue biochimique. »

( © Alexis Dufumier)

Cinquante produits différents

Aimants, table densimétrique à flux d’air, calibreur, trieur optique… Le silo meunier de Marcilly dispose d’une station qui trie selon différentes modalités de nettoyage des grains. La combinaison de ces procédés permet d’atteindre une mise aux normes parfaite, pour des conditionnements de qualité alimentaire, et de viser la production de produits finis en unités de vente consommateurs, comme les graines à germer, les lentilles, etc.

Les réglages de la station de triage peuvent être fastidieux pour les espèces les moins communes et durer jusqu’à une demi-journée. En revanche, il suffit d’une à deux heures de réglage pour étalonner la station pour des espèces comme le blé. Le site est capable de traiter cinquante produits différents, afin de s’adapter à une collecte diversifiée. « En agriculture biologique, les rotations de cultures sont très longues et intègrent des variétés et des espèces très différentes, pour une bonne gestion des problématiques sanitaires des parcelles et de l’enherbement. Notre équipement répond à ces contraintes spécifiques consistant à valoriser toutes les productions des adhérents de la coopérative », explique le responsable des filières de Biocer.

L’implication des 280 agricultrices et agriculteurs adhérents est d’ailleurs au cœur du dispositif. Ces derniers s’engagent à livrer l’intégralité de leurs récoltes à la coopérative, et ce, pour une durée de cinq ans. « Par ailleurs, nous ne produisons que ce que nous avons déjà vendu, insiste Guillaume Martin. Ainsi, nous pouvons garantir des prix stables aux agriculteurs, qui prennent en compte les coûts de production sans subir les aléas et la spéculation des marchés. » Comme quoi, au-delà de l’agriculture biologique, Biocer défend aussi une autre façon de faire sur les plans économique et industriel.

( © Alexis Dufumier)

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